La Phonétique et la Phonologie
D’après C. Baylon et P. Fabre Initiation à la linguistique Paris, Nathan université, 1975, pp. 83-85
La Phonétique et la Phonologie sont deux domaines de la Linguistique s’intéressant à l’aspect sonore du langage. Ces deux disciplines se complètent. Le phonéticien identifie et décrit expérimentalement les caractéristiques des sons de parole au moyen de divers appareils. Le phonologue construit un modèle permettant de comprendre le fonctionnement des sons dans la langue.
Partons du concret vers l’abstrait et allons de la phonétique vers la phonologie.
La phonétique.
Ses caractéristiques.
C’est une science interdisciplinaire par essence.
Elle emprunte à plusieurs disciplines : physiologie, acoustique, physique, psychologie, médecine, sociologie, anthropologie, linguistique…
Elle irrigue plusieurs champs : psycho-acoustique de la parole, pathologie du langage, didactique des langues, informatique, synthèse et reconnaissance automatique de la parole, audiométrie…
La phonétique comprend trois grands domaines
- phonétique articulatoire : concerne la physiologie de la phonation et les particularités articulatoires des sons de parole ;
- phonétique acoustique : traite de l’aspect physique des sons de parole en analysant le signal de parole ;
- phonétique perceptive : s’applique à la perception des sons paroliers.
Un aperçu de la méthode de travail et de la problématique.
La phonétique est l’étude scientifique des sons du langage. Elle se fixe comme but de fournir une description très fine de tous les sons. Elle y parvient grâce à divers instruments.
Prenons un exemple simple. Un phonéticien travaille sur la phrase papa va tard à la gare. Il en analyse tous les « A ». Et prouve qu’ils sont tous physiquement différents. Ce qui pose une série de questions
- pourquoi identifions-nous « A » alors qu’on a affaire à des sons différents;
- sur quels critères faut-il classer « A » : quels traits retenir afin d’en souligner sa spécificité ; parmi les différences relevées, lesquelles sont secondaires et ne doivent pas être retenues ?
Allons plus loin, toujours avec « A »
Certains Français distinguent pattes de pâtes ; mal de mâle ; ma de mât. L’environnement phonique est le même mais on a affaire à des doublets sémantiques.
Face à ces problèmes, le phonologue va se demander quelles sont les différences permettant, à elles seules, de distinguer entre deux mots.
Il relève une différence entre le « A » de pattes et celui de pâtes. Cette distinction n’est pas due au contexte : le voisinage de « A » est le même dans pattes et pâtes, ma et mât, etc. C’est la façon dont la voyelle est articulée qui explique la différence. Le phonologue stipule alors l’existence de deux unités linguistiques distinctes, les phonèmes /a/ et /ɑ/. Il les note entre barres penchées. Il précise que la différence entre eux est pertinente. Au contraire, les différences physiques relevées par le phonéticien entre les [a] de la phrase analysée sont dues au contexte ; elles ne sont pas pertinentes. Ces variantes sont notées entre crochets.
Cet exemple permet de préciser une différence essentielle entre Phonétique et Phonologie:
- la phonétique étudie les sons dans toutes leurs dimensions et variations. Elle accumule un maximum de détails. A la limite, il n’est pas besoin de connaître la langue à laquelle appartient tel ou tel son de parole;
- la phonologie aborde les sons en mettant en évidence en quoi ils se distinguent les uns des autres afin de permettre la signification entre unités de rang supérieur que nous appelons « mots ». C’est une phonétique fonctionnelle qui travaille uniquement sur les sons distinctifs de sens. Le phonologue établit le système des sons distinctifs d’une langue.
phonétique et phonologie
La phonologie.
Le critère de pertinence.
Il est fondamental. il permet de distinguer ce qui est essentiel, parce que distinctif, dans chaque langue ou chaque usage. Et ce qui est accessoire, c’est-à-dire déterminé par le contexte ou certaines circonstances.
La phonologie dégage tous les faits phoniques à partir du critère de pertinence. Elle les hiérarchise selon leur fonction dans la langue. Ainsi, le contingent ne s’impose jamais au détriment de l’essentiel. Par exemple,
- pour certains Français il y a 2 phonèmes /a/ antérieur et /ɑ/ postérieur là où le Toulousain ne connait que la réalisation antérieure;
- l’articulation de [k] dépend de la voyelle suivante: son point d’articulation est plus avancé dans kilo que dans courage. Ce qui n’a aucune incidence en français où il y a un seul phonème /k/. Mais joue en esquimau où le locuteur choisit l’un ou l’autre selon ce qu’il veut dire; il y deux phonèmes;
- en français, on distingue très bien /t/ et /d/ dans douche et touche, donc 2 phonèmes. Mais un seul phonème dans certaines communautés linguistiques en Polynésie où les locuteurs prononcent indifféremment [t] ou [d] selon le contexte ou l’humeur (Ces deux exemples sont empruntés à A. Martinet La linguistique synchronique Partis, PUF, 1974).
Décrire une langue, ce n’est pas dégager tous les traits physiques, mais dégager la pertinence. Qui correspond à la réalité exprimée par les habitudes linguistiques de telle ou telle communauté. La pertinence permet de
- compter le nombre de phonèmes distincts dans la langue ou l’usage considéré;
- compter le nombre de phonèmes successifs dont un mot est composé. Ainsi, les locuteurs de langues comportant des diphtongues ou des affriquées les traitent comme une seule unité sonore là où les Français perçoivent deux sons successifs: comme dans le mot anglais flight ou espagnol mucho;
- d’établir une hiérarchie des faits phoniques selon leur rôle dans le système.
Méthodes de travail en phonologie.
L’identification des unités phonologiques d’une langue.
Cet inventaire s’opère par l’épreuve de commutation. Le principe est d’extraire un élément de la chaîne, de le substituer par un autre, sans modifier le contexte. Ceci permet de chercher en quoi un élément est différent de tous les autres pouvant figurer à sa place. La commutation s’opère sur l’axe paradigmatique. Elle doit être distinguée de la permutation qui s’effectue sur l’axe syntagmatique – et qui est à l’origine des contrepèterie
Le principe du test de commutation
C’est la commutation d’un son par un autre son qui provoque une modification de sens. Prenons d’autres exemples : d’un point de vue sonore, le changement de sens entre bureau et bourreau est dû à la différence entre [y] et [u]; si je commute avec [a], je réalise barreau qui a un autre sens. Si maintenant je remplace le [ʁ] de barreau avec [l] j’obtiens ballot et bateau avec [t], etc. Ces sons ont une fonction distinctive; ils sont à la base d’un changement de sens entre les unités lexicales de la langue dans un même contexte phonétique. Ce sont donc des phonèmes. Ils doivent être notés entre barres penchées.
Le but de l’épreuve de commutation est de parvenir à isoler des unités distinctives (fonctionnelles, pertinentes) dans des positions bien déterminées. Le phonologue parvient ainsi à dégager un nombre fini d’unités fonctionnelles constituant l’inventaire des phonèmes d’une langue.
Le phonème est une forme sonore constituée d’un faisceau de traits distinctifs. Il a un signifiant et pas de signifié. Par commutation, il contribue à produire un changement de sens pour des unités de rang supérieur, les « mots ». Il a une fonction distinctive. C’est la plus petite unité linguistique.
La description phonologique des unités fonctionnelles.
Le principe est de dégager les caractéristiques constantes des phonèmes. Quelles sont celles qui sont pertinentes, autrement dit qui permettent de distinguer ce phonème de tous les autres phonèmes du système. Soit le tableau ci-après qui définit le statut phonologique de 3 consonnes. Il se fonde sur la combinaison de 4 propriétés articulatoires distinctives.
/k/ | /t/ | /d/ |
---|---|---|
oral | oral | oral |
occlusif | occlusif | occlusif |
non voisé | non voisé | voisé |
vélaire | dental | dental |
Le statut phonologique de 3 consonnes
On constate que
- le phonème /d/ partage deux traits avec les autres consonnes: « oral » et « occlusif »; il s’en distingue par 2 traits: « voisé » et « dental »;
- les phonèmes /k/ et /t/ ont 3 traits en commun: « oral », « occlusif », « non voisé »; ils ne se distinguent que par un trait: /k/ est vélaire, /t/ est « dental ».
/d/ et /t/ sont des paires minimales: ils ne s’opposent que par un seul trait pertinent: le voisement. Par contre, /k/ et /d/ ne sont pas des paires minimales: ils s’opposent par plusieurs traits simultanément. Donc, un phonème dans une langue donnée
- comporte et réalise simultanément plusieurs caractéristiques (articulatoires, perceptives, physiques);
- est identifié sur la base de ses traits distinctifs. Ils assurent la distinction entre lui et les autres phonèmes de la langue;
- existe parce qu’il s’oppose par un trait au moins aux autres phonèmes du système. Ce trait est appelé trait pertinent;
- existe aussi par la notion de réciprocité: il aide à définir le statut phonologique des autres phonèmes; son propre statut est défini par les autres unités fonctionnelles du système.
Deux phonèmes appartenant à deux langues différentes ne peuvent jamais être semblables: chacun se définit par rapport à la langue à laquelle il appartient. Soit le statut de /s/ en français et en espagnol. En français, /s/ et /z/ sont deux phonèmes distincts constituant une paire minimale. Ils ne s’opposent que par le trait pertinent de « voisement ». En espagnol, les sons [s] et [z] existent, mais
- [z] apparaît automatiquement devant consonne sonore: desde, rasgo, mismo...
- [s] apparaît dans tous les autres cas: casa, mes… A l’initiale, on a [ɛs] devant consonne: estación; et [s] devant voyelle: saber.
Les deux langues connaissent une différence phonétique identique entre [s] et [z]. Elle est fonctionnelle en français. Elle n’est pas pertinente en espagnol (les natifs ne s’entendent pas prononcer la sonore) où elle constitue une variante. Un phonème n’a pas forcément une réalisation unique. Il peut donner lieu à des variantes.
Pour conclure…
Ces deux termes posent souvent problème aux étudiants découvrant la linguistique. Je me suis efforcé d’être le plus clair possible. Et me suis situé dans la tradition de l’école structuraliste et du Cercle de Prague. Les théories phonologiques contemporaines sont plus complexes à aborder. Je ne les ai pas évoquées dans ce billet.
Le tableau suivant reprend quelques points importants évoqués dans ce cours.
PHONÉTIQUE | PHONOLOGIE |
---|---|
but: décrire toutes leurs caractéristiques: acoustiques, articulatoires, perceptives | but: interpréter et rendre compte de l'utilisation des sons par l'humain pour communiquer |
prise en compte de toues les différences phoniques | mise en relief des traits phoniques à valeur distinctive (tri): critère de pertinence |
science des sons concrets | science des sons immatériels |
étude des sons de parole sans tenir forcément compte de leur appartenance à une langue | étude des sons selon la fonction (distinctive) qu'ils remplissent dans une langue déterminée |
étude du signifiant | étude du signifiant en relation avec le signifié en vue de l'intercompréhension |
étude physique des sons | étude fonctionnelle des sons |
D’après C. Baylon et P. Fabre Initiation à la linguistique Paris, Nathan université, 1975.